le point de vue des instances archéologiques

Résumé
La conservation du patrimoine archéologique français est depuis plusieurs décennies gravement menacée par les utilisateurs de détecteurs de métaux. Pour endiguer ce fléau qui porte atteinte à la recherche et à la conservation des vestiges, l’État met en œuvre des actions pédagogiques et répressives .
Abstract
The conservation of France’s archaeological heritage has been seriously threatened for several decades by users of metal detectors. To curb this scourge, which undermines research and conservation of the remains, the State implements educational and repressive measures.


Cet texte est issu d’une communication présentée lors du colloque « Archéo-Éthique », accessible en français et en anglais.

Le pillage des sites archéologiques par la prospection avec un détecteur de métaux est devenu en France une question centrale pour la politique publique patrimoniale. Cette problématique de la détection de métaux a été traitée dès 1981 par le Conseil de l’Europe [1] estimant notamment que « ce problème ne constitue qu’un aspect d’une conception générale erronée des principes de l’archéologie et de la nature du patrimoine archéologique ». Régulièrement des archéologues français, parfois associés à des juristes [2-8] ont publié des contributions dans des revues nationales et internationale [9] pour alerter, à de rares exceptions près [10], sur cette problématique et ses conséquences pour la recherche archéologique.


Le 22 juin 1989, le sénateur Michel Miroudot présente au Sénat un rapport sur le sujet de la détection en vue de l’adoption d’une loi spécifique. Il indique après avoir rappelé que le patrimoine est « une réserve culturelle finie » notamment que « les utilisateurs de détecteurs de métaux sont animés par une volonté de découvertes d’objets métalliques en vue de leur possession – l’objectif est alors la constitution d’une collection personnelle – ou de l’approvisionnement du marché des objets d’antiquités – le mobile est alors le profit » [11].


En 2011, un rapport élaboré par le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) revient sur ce sujet [12]. Ce rapport ne retient pas comme solution alternative les systèmes mis en place au Danemark (le Danefæ), en Angleterre et aux Pays de Galles (Treasure Act), mais propose plutôt un renforcement du cadre juridique au motif que le patrimoine est « un bien culturel fragile et non renouvelable ». L’idée d’une licence pour les possesseurs d’un détecteur avec timbre fiscal est d’emblée écartée par le Conseil national. Parmi les propositions formulées, celle d’une immatriculation et d’un enregistrement des détecteurs de métaux qui, associée à l’autorisation préfectorale, aurait pour effet de mieux contrôler cette activité. Très vite les associations de détectoristes ont fait connaître leur opposition à ces principes en publiant des réponses au texte du CNRA. C’est le cas par exemple de l’association Vive la détection sous le titre « revendications » ou de Détect + qui soutient la position du Fédération Européenne des Prospecteurs, que : « le vrai défi est d’associer plutôt que d’exclure et de rechercher les conditions d’une collaboration pérenne entre les prospecteurs et les utilisateurs de détecteurs de métaux [UDM] et les archéologues de terrain surtout d’éviter une fracture définitive entre deux mondes qui sont en réalité bien complémentaire » [13]. Quant à la Fédération Nationale des Utilisateurs de Détecteurs de Métaux (FNUDEM), elle présente dans un texte publié sur son site en 2013, pour éviter « les dérives actuelles et les conflits destructifs », une dizaine de propositions et suggère de regrouper les utilisateurs d’un détecteur de métaux dans une seule fédération pour permettre à l’État d’avoir un interlocuteur unique [14].


En réalité, cette prise de position, par la plus haute instance archéologique consultative représentative de la communauté scientifique nationale, s’inscrit dans la logique de la loi du 18 décembre 1989 relative à l’utilisation des détecteurs de métaux qui stipule dans son article premier que « Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la Préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu l’autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que la nature et les modalités de la recherche » [15]. Avec cette loi, la France a anticipé un principe qui est inscrit dans la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique [16], dite « convention de Malte » ratifiée par la France en 1994 dont l’article 3 indique que les États membres du Conseil de l’Europe et les autres États partis à cette convention sont convenus de soumettre à une autorisation préalable spécifique l’emploi de détecteurs de métaux et autres équipements de détection ou procédés pour la recherche archéologique. Cette décision, à l’instar des prospections et des fouilles, nécessite pour le territoire national que le prospecteur réalise les démarches obligatoires en application de la loi du 27 septembre 1941 [17] portant réglementation des fouilles archéologiques avant tout engagement sur le terrain, afin d’obtenir une autorisation administrative délivrée par les services de l’État, ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles territorialement compétente. Cette autorisation doit être fondée sur un projet scientifique cohérent mené par des personnes pouvant justifier des compétences techniques et scientifiques adaptées. Ce principe général est, à nouveau, confirmé en 2004 dans le code du patrimoine dont Delestre 2019 Page 159 l’article L. 542-1 [18]1 reprend mot pour mot l’article premier de la loi de 1989 pour éviter que les adeptes de la « détection dite à présent de loisir », pratiqué en dehors de tout cadre scientifique, n’accélèrent l’érosion du patrimoine archéologique et prive « les concitoyens et les générations futures de sources inédites nécessaires à la connaissance du passé des territoires » comme le souligne la ministre de la Culture en réponse, le 12 juillet 2016, à l’Assemblée nationale à un parlementaire [19].


L’adoption le 7 juillet 2016 de la loi relative à la liberté de création [20], à l’architecture et au patrimoine mettra à terme selon les articles L. 541- 4 à 6 un coup d’arrêt au commerce des objets archéologiques suite aux précisions apportées quant au régime de propriété de ce que l’on nomme désormais les « biens archéologiques »2. Ainsi les polémiques liées à des ventes aux enchères, comme celle que nous avons connue en avril 2019 à propos d’un lot d’objets découverts en 2012 à Tavers (Loiret) par des détectoristes, ne pourront plus se reproduire. Cet ensemble comprenait soixante-cinq objets protohistoriques qui, compte tenu de l’intérêt patrimonial et scientifique, avaient été déclarés par le ministère de la Culture « trésor national » empêchant ainsi la sortie des objets du territoire du français. Il était proposé à la vente au prix de 50 000 euros. La presse écrite et orale régionale et nationale a largement couvert cette affaire, à lire par exemple dans le quotidien le Figaro du 25 avril 2019 l’article intitulé « Levée de boucliers avant la vente aux enchères d’un trésor gaulois » [21]. Elle a donné lieu également à de nombreux échanges sur les réseaux sociaux. Des plaintes ont été déposées par l’association Halte au pillage d’une part et d’autre part par les commissaires-priseurs. Finalement, les objets ont été acquis quelques heures avant la vente, après une entente gré à gré, entre le vendeur et le musée national d’archéologie de Saint-Germain-en-Laye au montant de la mise à prix. Pour l’heure, malgré la consolidation du droit en la matière [22] et des prises de position quasi unanimes des archéologues français, force est de constater une aggravation de ce phénomène qui met en péril la bonne conservation des archives du sol. Les commentaires laissés sur les réseaux sociaux et sur les forums en apportent clairement la preuve au travers de la présentation régulière de découvertes faites lors de sorties réalisées de jour ou de nuit seul ou en groupe.


Dans ce contexte où les démarches et les actions pédagogiques (figure 1) initiées par l’État ne suffisent pas, il est nécessaire de recourir à des mesures répressives.
C’est dans cette logique que le ministère de la Culture s’est rapproché des services de la gendarmerie, de la douane et de la police nationale parallèlement à des rencontres avec les services du ministère de la Justice. La conséquence de ces démarches a été un renforcement des contrôles débouchant sur une augmentation, au cours des dix dernières années, des condamnations apportant par là même la preuve du caractère illégal de ces prospections pour les juges. Pour renforcer l’action pénale, le ministère de la Justice – Direction des affaires criminelles et des grâces – a publié en 2017 un Focus intitulé « Le traitement judiciaire des atteintes au patrimoine culturel archéologique et historique » [23]. Ce document est accompagné d’un tableau récapitulatif des peines encourues (Annexe 1) au regard des codes de procédure pénale, du Patrimoine, des Douanes,


1 Dans la partie réglementaire du code du patrimoine, l’article R. 542-1 créé par le Décret n° 2011-574 du 24 mai 2011 stipule : « L’autorisation d’utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, prévue à l’article L. 542-1, est accordée, sur demande de l’intéressé, par arrêté du préfet de la région dans laquelle est situé le terrain à prospecter. La demande d’autorisation précise l’identité, les compétences et l’expérience de son auteur ainsi que la localisation, l’objectif scientifique et la durée des prospections à entreprendre. Lorsque les prospections doivent être effectuées sur un terrain n’appartenant pas à l’auteur de la demande, ce dernier doit joindre à son dossier le consentement écrit du propriétaire du terrain et, s’il y a lieu, celui de tout autre ayant droit. » 2 À l’article L. 541-4 : « Les articles 552 et 716 du code civil ne sont pas applicables aux biens archéologiques mobiliers mis au jour à la suite d’opérations de fouilles archéologiques ou de découvertes fortuites réalisées sur des terrains dont la propriété a été acquise après la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2016- 925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Ces biens archéologiques mobiliers sont présumés appartenir à l’Etat dès leur mise au jour au cours d’une opération archéologique et, en cas de découverte fortuite, à compter de la reconnaissance de l’intérêt scientifique justifiant leur conservation ».


de la Sécurité intérieure et du Travail. Il fera l’objet d’une large diffusion auprès des magistrats et des enquêteurs. Lorsque les détectoristes prennent connaissance de ce document, de nombreux commentaires sont publiés sur les sites des associations de détection et les forums redoutant une accentuation des contrôles.


Un jugement prononcé par le tribunal de grande instance d’Avignon (Vaucluse) est à l’origine en 2017 d’un mouvement de panique national conduisant nombre de détectoristes à supprimer en urgence leurs vidéos publiées sur YouTube par crainte d’avoir à répondre de leurs agissements devant un juge. Sous le titre « Vent de panique sur les réseaux sociaux : ce qui est vrai et ce qui révèle de l’intox ! », le site Vive la détection publie le 13 février 2017 [24] un long texte avec un sous-titre « Je ne suis pas Marcus », reprenant le pseudonyme de la personne condamnée et faisant écho aux récents attentats parisiens. Ce texte se termine par une série de recommandations pour éviter aux prospecteurs d’avoir « des ennuis ». D’autres sites, comme Detexpert, invitent les prospecteurs au contraire à continuer à poster leurs trouvailles pour empêcher que « nos détracteurs remportent la bataille ».


Depuis ces trois dernières décennies, suite à une conjonction de facteurs (réduction du temps de travail, modification de l’âge de départ à la retraite, aggravation du chômage, etc.), on assiste en France à une forte progression des adeptes de la détection. En 2013, la Fédération européenne des prospecteurs (FEP) estimait les effectifs à près de 4 000 en France. Le site Vive la détection mentionne qu’entre 10 000 et 15 000 détecteurs sont vendus par an depuis 2011 ; plus de 100 000 prospecteurs dénombrés en 25 ans ; une centaine de sites internet actifs (forums ; blogs) [25]. La FNUDEM quant à elle donne en 2013 le chiffre de 30 000 utilisateurs d’un détecteur. Selon le site Le fouilleur, les détectoristes seraient actuellement en France au moins 100 000. Au-delà d’une querelle de chiffre, l’essentiel est de retenir qu’au fil des ans la population des détectoristes ne cesse d’augmenter. L’année 2013 verra également la constitution d’un Conseil National de la Detection Métallique (CNDM) pour tenter de légitimer cette pratique. Il regroupe une cinquantaine d’entités (associations, fabricants, vendeurs, forums) dans le but de « lutter efficacement contre le pillage du patrimoine, il ne sert à rien d’interdire ce loisir, comme certains le prônent, mais il faut, au contraire, l’encadrer de façon à préserver sa liberté, tout en protégeant les vestiges et en valorisant les découvertes fortuites ». En 2017/2018, les discussions tournent autour de l’opportunité de créer un syndicat des détectoristes. Cette perspective, comme celle d’un regroupement des associations, ne pourra aboutir faute d’entente entre les différents groupes. Pour clore sur ce point du nombre de prospecteurs et montrer toute l’importance de ce phénomène, on peut rappeler ici quelques données statistiques visibles sur le forum Detecteur.net. En avril 2019, on relève que 10 3587 messages sont échangés au sujet des performances de marques de détecteurs, 11 260 messages correspondant à 972 sujets ont été publiés dans la rubrique « tutos et astuces pour la détection de métaux » et d’une manière plus globale que sur ce même forum ont été publiés 1 245 327 messages par 21 733 membres.


Ces prospections avec détecteurs de métaux sans autorisation sont au regard de la loi des infractions qui sont, comme nous l’avons déjà indiqué, régulièrement dénoncées par la communauté des archéologues professionnels et amateurs par des actions d’informations relayant les campagnes lancées par le ministère de la Culture (Annexe 2). Dans le même temps, la détection est encouragée par les publicités alléchantes des vendeurs vantant les performances de plus en plus grandes des appareils avec des possibilités d’étalement du financement lors de l’achat et surtout, de potentielles et spectaculaires découvertes d’objets en métal précieux. Pour éviter de tomber sous le coup de la loi, les webmasters des forums et les rédactions des revues de détection prennent soin de rappeler en petits caractères et notes en bas de page quelques éléments de la réglementation. Une littérature de plus en plus abondante, essentiellement des ouvrages présentés comme des guides ou des manuels [26-28] sont mis à la disposition des détectoristes et parfois vendus directement par les marchands de détecteurs. La multiplication des publications incitant à la découverte de trésors contribue également à cet engouement. G. Demaretz dans un ouvrage mentionne par exemple que plus de 350 trésors sont retrouvés annuellement en France [29]. De nombreux sites internet s’inscrivent dans cette même logique à l’image du site couloir du net dont le titre est parfaitement évocateur : « trésors perdus, enfouis et oubliés » ou bien encore sur Topito.com, les « Top 10 des trésors qui restent à trouver en France ».


Certains se lancent même dans l’édition d’ouvrages à prétention juridique destinés à apporter une protection aux détectoristes [30-31]. La situation demeure paradoxale. D’un côté, un arsenal législatif répressif consolidé par une mise en synergie de plusieurs codes ; de l’autre, des marchands, une presse spécialisée et des forums de détectoristes qui publient régulièrement des articles à sensation qui s’explique par le fait que la démocratisation de ces engins représente aujourd’hui un véritable marché financier. Celui-ci est en augmentation régulière par suite d’une multiplication des gammes d’appareils avec de nombreux articles associés (vêtements, pointeurs, pioches, outils de nettoyage des objets, ouvrages, cartes, etc.) et des nouveautés, par exemple depuis quelques mois la pêche à l’aimant qui permet d’aller à la conquête de nouveaux espaces (rivières et lacs) non sans risque pour les prospecteurs qui mettent au jour des munitions des deux derniers conflits mondiaux et exposent directement leurs vies.


Ce marché fait naître une véritable guerre économique entre les différents fabricants, les revendeurs et donne naissance à des conflits avec les utilisateurs dont les commentaires sur les réseaux sociaux montrent la vigueur. C’est dans cette dynamique que prend place la multiplication de rallyes au cours des dernières années. Ces manifestations rassemblent pendant une ou plusieurs journées des centaines de personnes. Elles sont organisées dans le but officiellement de retrouver des jetons préalablement cachés. À la clé de ces manifestations les organisateurs proposent de nombreux lots, notamment des matériels de détection et même pour un rallye devant se dérouler en octobre 2019 dans le sud de la France une voiture et jusqu’à 50 000 euros de prix.


Au-delà de l’obligation d’entreprendre des démarches administratives avant d’effectuer une prospection avec un détecteur de métaux se pose celle de savoir si l’utilisation hors des principes méthodologiques de l’archéologie porte ou pas un préjudice au patrimoine. La réponse à cette question est apportée par les marchands d’appareils eux-mêmes avec la publication de données techniques. Le résultat des tests et des tableaux comparatifs entre les différentes marques de détecteurs est régulièrement publié en particulier sur les forums. On peut donner ici à titre d’exemple l’enquête réalisée par le Fouilleur entre 2005 et 2015. Cette enquête est basée sur la prise en compte de cinq critères principaux (profondeur, discrimination, rendu sonore/réactivité/prise en main/polyvalence). L’appareil qui obtient la meilleure évaluation (65%) est vendu au prix de 999 euros. De ces différentes expérimentations, il ressort que ces appareils détectent aujourd’hui une monnaie jusqu’à 40 cm ; une masse métallique de moyenne importance (volume d’une boîte de conserve) jusqu’à 70 cm et une grosse masse jusqu’à deux mètres de profondeur. Pour mieux utiliser ces appareils, des manuels ont été rédigés et des articles présentés sur des forums dédiés largement diffusés auprès des détectoristes (Détecteur de métaux, Pringault Détection, Le site du jardinier). Pour favoriser le marché lucratif de la détection, des offres promotionnelles sont régulièrement lancées et des nouveautés annoncées. Sur le site Garret.com, on peut lire par exemple à propos d’un nouvel appareil « sa profondeur de détection peut « rendre la vie » aux sites apparemment épuisés ou trouver de nouveaux sites » ; des représentants de grande marque de détecteurs viennent de l’étranger pour vanter les performances des produits à l’occasion de rallyes à l’exemple des « Diggers ». La baisse régulière du prix d’entrée de gamme de ces appareils est aussi une raison de ce succès grandissant.


Le développement d’internet a largement amplifié les circuits d’échanges et de diffusion de l’information entre les utilisateurs d’un détecteur de métaux avec la mise en ligne de vidéos publiées sur YouTube avec parfois plusieurs milliers de vues, les discussions sur les forums et sur Facebook en particulier. C’est à présent une évidence, la détection est devenue un véritable fait de société. On constate par ailleurs une progression du nombre des associations de détection à l’échelle régionale ou nationale (cf. la carte interactive des associations publiées en 2018 sur le site Facebook « les Poëleux ») et de fédérations. Elles se répartissent sur tout le territoire national. Les faits rappelés ci-dessus sont des éléments à charge contre le discours véhiculé par les détectoristes qui avance régulièrement que leur principal objectif est de dépolluer les terrains, pour preuve les vidéos publiées par certains participants sur YouTube


L’archéologie est une démarche unique qui doit permettre, par des techniques appropriées, d’appréhender les choses du passé. Dans cette perspective, non seulement les conditions de découverte d’un objet importent, mais aussi tout son environnement, le contexte, dont l’étude est fondée sur le principe d’une enquête stratigraphique. Depuis des décennies, l’archéologue sait qu’il peut tirer nombre de renseignements par un examen méticuleux et selon des approches pluridisciplinaires de la terre qui dissimule les artefacts. Ce regard, porté par des spécialistes, est essentiel pour une meilleure compréhension du site fouillé, mais aussi souvent pour mieux cerner la fonction de l’objet et sa valeur pour ses utilisateurs d’alors. Les artefacts et les écofacts mis au jour constituent pour le monde scientifique des bases de données fondamentales pour la reconstitution des sociétés du passé. Tout comme pour décrypter une scène de crime, tous les indices mis en évidence lors d’une fouille contribuent à une meilleure perception des faits historiques étudiés. Chacun sait que fouiller c’est détruire et ce principe s’applique à toutes les équipes, c’est une évidence qui justifie que l’on privilégie la conservation des sites à leurs explorations. Conserver in situ les archives du sol c’est aussi offrir aux générations futures de chercheurs la possibilité d’entreprendre des études faisant appel à des technologies et des savoirs pour l’heure inconnus. C’est en ayant présent à l’esprit ces faits que l’on doit regarder avec inquiétude la perte de données par suite de démarches inappropriées. Le 22 janvier 2014, l’agence France Presse annonçait dans un communiqué que plus de 500 000 objets archéologiques étaient pillés chaque année en France [32]. Pour ma part, en me basant sur une compilation des données visibles sur les forums et divers autres sites visionnés pendant plusieurs années, j’ai pu estimer à plus de 2,4 millions le nombre d’objets (monnaies, objets divers, plombs de scellés, fibules, bijoux, militaria, etc.) pouvant intéresser l’histoire ou l’archéologie exhumés annuellement de manière illégale sur le territoire national.


Les acteurs de ces recherches clandestines présentent des profils divers. Les prospecteurs établissent eux-mêmes une classification en quatre groupes : les amateurs d’histoire, les prospecteurs de loisir, les électrons libres et les pillards qui, comme on a pu le constater en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour certains n’hésitent pas à reprendre cette activité délictuelle après une condamnation judiciaire. Sur le site de la FNUDEM qui prodiguent quelques conseils parmi lesquels ne pas donner suite « aux prospecteurs qui vous disent être sur un bon coup et vous demandent de les accompagner. Le bon coup n’est autre qu’un site archéologique ». L’enquête réalisée à notre initiative en région Provence-Alpes-Côte d’Azur à partir de 2015 [23-35], la première menée de manière systématique à l’échelle d’une région administrative, a permis de montrer l’ampleur du phénomène de la détection et livrer les premières données statistiques fiables. Parmi les 1 000 personnes recensées comme pratiquant la détection, plus de 600 le font de manière régulière c’est-à-dire quotidiennement avec des durées de prospection pouvant atteindre plusieurs heures par jour et cela plusieurs fois par semaine. Finalement, on peut évaluer pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à plus de 5 000 hectares prospectés (terrains labourés, prairies et espaces boisés) chaque année.


La pyramide des âges va de l’adolescent à l’octogénaire comme nous avons pu le constater lors de procédures judiciaires menées en région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 2015 [33]. Cette enquête régionale montre que 90 % des prospecteurs sont des hommes ; 70 % se regroupent dans la tranche d’âge 30/40 ans. Si toutes les catégories sociales sont concernées, les détectoristes sont pour environ 60 % des ouvriers et des artisans. Dans ce panel, on trouve de « braves pères de famille » qui, par goût de l’histoire et de l’aventure, pratiquent seul ou en famille la détection sans doute animée par le désir de découvrir un jour un trésor à l’image des reportages lus dans les revues de détection. Cette quête de la découverte d’un fabuleux trésor est, à n’en pas douter, le résultat des images inscrites dans l’imaginaire collectif que continuent encore aujourd’hui à donner les médias de l’archéologue associé indéfectiblement au mythe de l’Indiana Jones et à la découverte des civilisations perdues. À l’adresse de ces prospecteurs, il est aisé de faire la démonstration des dégâts que produisent de tels agissements sur le patrimoine archéologique. Ceux-ci n’ont en effet rien en commun avec ceux qui pratiquent cette activité d’abord et avant tout, pour faire commerce de leurs trouvailles. L’expérience montre qu’après un rappel à la loi un certain nombre d’entre eux cesse cette activité, d’autres intègrent des équipes de fouilles et contribuent bénévolement à l’étude du patrimoine dans le cadre de recherches programmées qu’il s’agisse d’une fouille ou d’une prospection .


Pour tenter de mettre un frein à ces pillages de sites archéologiques sans aucun rapport avec une prétendue action de dépollution des terrains ou une activité de loisir, entre 2015 et 2019 plus d’une centaines de plaintes et signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ont été déposés par le service régional de l’archéologie de la direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur auprès des tribunaux au cours de ces quatre dernières années. 55 perquisitions ont été réalisées [34,35] (figure 2).
Toutes ont été positives conduisant à la saisie de plus de 25 000 objets archéologiques ayant une valeur marchande estimée à plus de 2 millions d’euros. Ces procédures judiciaires révèlent que parmi les personnes mises en cause environ 20 % faisaient commerce d’objets archéologiques avec pour partie des achats et ventes en provenance de l’étranger entraînant au final une plus grande confusion, voire une impossibilité d’identifier avec certitude les objets issus de pillages régionaux. Sur la base des enquêtes, 24 jugements ont été prononcés avec des peines de prison allant de 2 mois à 18 mois assorties du sursis s’agissant d’une première condamnation, à des amendes entre 1 000 et 9 000 euros, à la saisie définitive des matériels de détection et des biens archéologiques au profit de l’État.


Les premiers résultats de l’étude menée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur montrent l’ampleur des dommages qu’occasionnent ces prospections sauvages en contradiction totale avec l’action publique qui ambitionne de mieux protéger le patrimoine archéologique national, notamment grâce au dispositif de l’archéologie préventive. Il apparaît évident que si aucune mesure pédagogique et répressive n’est poursuivie pour tenter d’enrayer ce phénomène, au rythme que nous connaissons actuellement, d’ici une génération ce sont 3 000 ans d’histoire de la métallurgie qui seront définitivement perdus ou très fortement endommagés par ces affouillements intempestifs. Ce constat est d’autant plus préoccupant que des territoires comme ceux des Alpes du Sud ont déjà été fortement impactés par des fouilles mal conduites au cours des XVIIIe et XIXe siècles dont le résultat se limite aujourd’hui à des collections d’objets hétéroclites éclatés entre plusieurs musées et des collections privées.


En conséquence, la répression reste pour l’heure malheureusement nécessaire et prioritaire pour faire respecter la loi et tenter de limiter ces pratiques clandestines dénoncées en France depuis les années soixante-dix par les archéologues et des associations archéologiques, notamment l’association Halte au pillage du patrimoine archéologique et historique (HAPPAP), parce qu’elles génèrent un marché gris et noir des antiquités et rejoignent souvent le trafic international des biens culturels archéologiques. Les enjeux financiers qui découlent de l’activité de prospection peuvent même mener jusqu’à des assassinats. En 2016 a été jugée à Laon (Aisne) aux assises, une affaire de meurtre dont l’origine était un fait de détection et un partage inéquitable du produit d’une vente entre les membres d’un petit groupe de détectoristes [3,36].


Une démarche répressive à l’image de la France est engagée par de nombreux autres pays (ex. : Espagne, Belgique, Suisse, Italie, Grèce, Turquie, Colombie) comme en témoignent les articles de presse faisant écho d’arrestations et de perquisitions. Cette approche répressive est aux antipodes de ce qui se pratique depuis les années 1990, au Royaume-Uni dont dernièrement M. Lewis [37] a tiré quelques enseignements. Les chiffres de découvertes, publiés par les prospecteurs anglais, révèlent l’ampleur de cette activité et le caractère spectaculaire des trouvailles présenté comme exemple aux détectoristes français. Il s’agit soit de trésors ou dépôts monétaires, soit d’objets isolés ou en lot en métal précieux (or ou argent). Dans le même temps, il a été fait le constat que la pratique de la détection n’a eu aucune action positive sur le développement de la recherche scientifique et la consolidation de l’emploi archéologique. En effet, les trouvailles de détection ne donnent lieu que très exceptionnellement à des recherches scientifiques plus approfondies. En 2009 un document publié par la société Oxford Archaeology a dressé un état de la question [38]. Ce document a été diffusé en France en 2010 et commenté par l’intermédiaire de sites de détectoristes, notamment Detect +.


La collaboration entre archéologues et les utilisateurs d’un détecteur est un questionnement de portée internationale [39,40]. Bien entendu ce n’est pas la fonction de l’outil qui est ici en question, mais son utilisation qui ne répond pas aux règles élémentaires d’une bonne pratique de l’archéologie. Donner crédit aux utilisateurs des détecteurs ne peut à notre avis recevoir pour l’heure une réponse positive pour plusieurs raisons. La première est qu’aujourd’hui l’archéologie est un métier que l’on ne peut pratiquer qu’au terme d’une solide formation universitaire et un apprentissage pratique. En second lieu, parce que dans la plupart des cas le doute subsiste quant au lieu précis de découverte et diverses données élémentaires comme la profondeur d’enfouissement, la nature des terrains permettant une interprétation archéologique (ex. : niveau d’occupation, d’abandon, dépôt volontaire). Cette approximation dans le rendu des informations peut être parfois volontaire de la part de l’informateur par souci de garder jalousement l’endroit potentiellement riche en découvertes ultérieures. Elle peut être aussi simplement le résultat d’une absence de formation faisant prendre conscience que l’un des atouts majeurs d’une découverte est la connaissance de son contexte d’enfouissement.


Ce doute quant à l’origine de la découverte suffit, me semble-t-il, pour écarter cette information. Cette faiblesse documentaire se retrouverait inévitablement par la suite dans des publications scientifiques. Prendre en considération ces trouvailles au même titre qu’une découverte effectuée dans une fouille scientifique serait donner du crédit à une pratique qui est aux antipodes de l’archéologie contemporaine et à son éthique. Les archéologues qui n’ont pu résister à cette tentation tentent de masquer la chose en indiquant de manière détournée « information anonyme » ou « collection privée ». Il est arrivé aussi que ces découvertes soient officialisées, en les attribuant sans argumentaire décisif, à des séries plus ou moins anciennes provenant de fouilles officielles. Enfin, et c’est un argument majeur, on ne peut demander aux équipes archéologiques de répondre à des exigences méthodologiques évaluées a priori et a postériori par des commissions d’experts et accepter sans réserve l’introduction dans les corpus constitués des données issues de pillages. Le faire est à l’évidence un encouragement ou une reconnaissance de l’utilité d’une pratique qui, une fois encore, n’a rien en commun avec une éthique professionnelle de l’archéologie contemporaine.


Au final, c’est en poursuivant de front les actions pédagogiques et répressives que, collectivement dans le cadre de nos responsabilités et de nos engagements professionnels, nous serons mieux à même de garantir la protection des archives du sol. C’est à cette ambition collective que nous devons nous consacrer pour éviter que, sous le prétexte fallacieux d’une activité dite de loisir, non fondé en droit, des éléments importants de notre mémoire partagée ne s’effacent et privent les futures générations d’une partie de leur Histoire. Osons ici un parallèle, accepterait-on que n’importe qui pratique un acte chirurgical sans formation initiale ou se charge de l’entretien des moteurs d’un avion? Certes non! Pourquoi donc en serait-il autrement pour l’étude du patrimoine qui reste le trait d’union pour tous les peuples avec leurs origines.


Les chiffres aujourd’hui que l’on peut réunir à partir de l’exploitation des différentes sources accessibles sur internet plaident sans réserve pour considérer comme prioritaire la recherche d’une solution qui garantisse la conservation du patrimoine archéologique en alliant pédagogie, déontologie et répression. Sans prendre en compte cette question du pillage régulier des sites, c’est de manière insidieuse une part importante du patrimoine national qui disparaît sous nos yeux. C’est la raison pour laquelle, il ne peut être question de laisser se propager cette activité que l’on doit assimiler sans réserve au regard de la législation française à de la délinquance. Cette réflexion conserve donc toute l’actualité aux recommandations formulées par le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA), à savoir :
- Ne pas utiliser de détecteur sans autorisation,
-Ne pas collaborer avec des personnes non autorisées par l’État .
- être vigilant sur les conséquences possibles de la communication,
- ne pas mentionner, ni se référer, dans ses publications, à du mobilier d’origine douteuse (« mobilier gris »), issu de découvertes illicites, afin de ne pas encourager le pillage [12].


Les éléments chiffrés qui ont pu être rassemblés en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ces dernières années viennent conforter l’orientation arrêtée par la communauté scientifique nationale soutenue par une législation qui n’a cessé d’être consolidée depuis trente ans. Cette position ferme à l’encontre des prospecteurs s’inscrit dans l’histoire de l’archéologie nationale qui s’exerce aujourd’hui dans un cadre professionnel selon des méthodologies adaptées et une pratique qui fait l’objet d’évaluation, qu’il s’agisse de projets de prospections ou de fouilles. Ces orientations fondées sur une programmation scientifique nationale arrêtée par le CNRA constituent le socle d’une éthique partagée responsable et indispensable pour la conduite des études scientifiques, mais également pour la protection des vestiges archéologiques qui est de la responsabilité de l’État.
Source : ISSN 2561.4665